vendredi 18 décembre 2015

Extrait d'une nouvelle fantastique "Pressentiment"




Nuit chaotique. Quintessence de l'effroi. Les chemins obscurs enveloppés de brumes. Les chênes, la chair à vif dont la nudité sombre s'habille, de la lumière grelottante de la lampe à huile. Son souffle gelé cogne à son oreille comme le glas. Ces bottes laissent des trous de glace fondus et d'eau stagnante sur le sol. Arrivée en haut de la colline, l'homme arrête sa course à quelques mètres d'un petit corps de ferme. Aucun bruit ne vient transgresser le sommeil paisible de la petite maisonnée, hormis l’entêtant cantique du vent entre les branches. Il reste debout un moment, tendu et fébrile comme s’il attendait quelque chose. Il attend longtemps aux aguets dans le froid de l’hiver, les doigts agrippés sur un petit pistolet. Soudain, il regarde ses bottes mouillées, ses mains bleues et ses jambes tremblantes. Un petit rire le prend qui laisse échapper quelques fou rire en grappes. Il retourne sur ses pas, sa voix cahotante le suivant dans le bois.

Le 2 Aout 1932
A Bordeaux
Cher neveu,

Ma santé tendant à se décliner, je prends la plume pour épancher mon cœur. La culpabilité le ronge depuis près d'un demi-siècle. Au nom de mon serment et de ma fonction, je me suis trahie moi-même. 
« Requiescat in pace! » Je suis assez expérimenté dans la mécanique des âmes, pour savoir que le Saint siège me l'a déjà accordé; Dieu non. La mort seule, me délivrerait. Alors, pourquoi écrire ? Pour tenter de me convaincre encore que ce que j'ai vu, ressentie, et entendue, était bien réel, et non une supercherie de mon esprit. Je te laisse juger des faits et je tenterais de me rapprocher le plus possible de la vérité.
Fraichement nommé dans cette petite bourgade du sud-ouest, je me montrais un peu froid et hautain, plus que je n'étais en réalité. Mais, doté d'une  petite taille  et d'un visage poupin, je devais inventer des subterfuges pour que la masse me prenne au sérieux. En arrivant, je récupérais les batailles de mon collègue contre la sorcellerie et autres superstitions provinciales. Cartésien, j'étais totalement convaincu de la nécessité de cette entreprise. Chaque dimanche,  je déclamais de vigoureux sermons, exaltant  notre mère l'Eglise la très miséricordieuse, qui accueille en son sein les vils impénitents et les hérétiques de tout bord.
Un incident anodin m'a amené à rencontrer le principal protagoniste de cette affaire. J'avais repris la bonne de mon prédécesseur, Jeanne, dont le dynamisme éclatait le calme monotone de mon logement. Bavarde, elle pouvait converser durant des heures sur son « bon à rien » de beau-frère, ou sur l’éternelle mésentente entre la famille Augier et la famille Puy Bonnieux. Un matin de carême, je trouvais la domestique silencieuse, face contre terre, le pot de grain à ses pieds. Suivant les conseils avertis de la femme du médecin, j’embauchais rapidement une jeune fille de paysan, honnête, discrète et croyante, Elise.
Après avoir obtenu son certificat d’étude avec félicitation, elle ne put continuer ses études. Malgré l’insistance du vieil instituteur, son père l’avait mis dehors en vociférant qu’il était ici, chez lui ! Et que sa fille, c’était à lui de décider ce qui était bon pour elle ! Elle m’avait dit que maintenant, elle s’y était faite, elle s’était résignée. Je m’étais rendu compte qu’elle était effectivement dotée d’une mémoire surprenante. J’avais décidé alors de mettre ce talent au service de la communauté des chrétiens. A l’église, elle m’aidait à préparer la messe. A la catéchèse,.
De ce fait, nous étions devenus très proches, et lorsqu’elle œuvrait à sa besogne, il m’arrivait souvent de la questionner sur le déroulement du prochain office. Parfois, je poussais même le vice à l’interroger sur des thèmes récurrents de la Bible : la culpabilité, le crime, la rédemption, la mort, la jalousie… La jeune femme ne se démontait jamais, même indécise, elle était directe, concise et juste. Elle me rappelait ta mère qui m’avait manqué horriblement dans les silences arides du séminaire.
Cependant, quelques fonds de mysticismes faisaient surfaces parfois. Une après-midi d’Avril, nous discutions de la fuite de Joseph pour Bethléem, et elle me posa une question saugrenue : «  Est-ce que vous pensez que dieu nous parle vraiment en rêve ? Je veux dire, est-ce que vous croyez qu’il nous prévient de ce qui peut nous arriver ?  Que les rêves sont peut-être des messages cachés que l’au-delà nous envoie sur ce qu’on doit faire ? » Je lui disais qu’effectivement Joseph avait reçu un message divin, mais qu’elle devait se garder de toutes ses superstitions stupides, qui croient que les rêves nous racontent l’avenir. Elle s’était tue et n’avait jamais refait allusion à ceci.
Ce jeu était devenu notre routine, elle fut brutalement bouleversée par les affaires terrestres. Le dernier dimanche de Mai, après l’office, elle attendit que tous les croyants soient sortis, pour me dire succinctement qu’elle allait se marier après le jeudi de l’ascension. Désormais, elle n’aurait plus le temps de venir travailler à la paroisse, ni à la catéchèse. Son regard si franc me fuyait, et si ses yeux ne s’étaient pas voilés, on aurait pu y lire toute sa résignation. Sa mère renchérit qu’elle devait épouser un paysan qui n’habitaient qu’à quelques minutes d’ici, un gentil garçon, bien brave, (même si je ne le voyais pas souvent à tous les offices). Ils allaient s’installer dans une petite maisonnée, avec quelques bêtes. Je leur montrais alors un peu d’agacement, car je n’avais pas été prévenu, assez tôt. Je devais maintenant m’atteler à trouver une femme aussi sérieuse et dynamique que sa fille. La mère qui était une femme prévenante, m’assura qu’une de ces nièces la remplacerait le lendemain même. Je fis mine d’être soulagé, et leur souhaita les formalités d’usages.
Je ne dénie pas à sa remplaçante des qualités certaines au travail domestique, elle astiquait du matin au soir en chantant des ritournelles. Mais, elle était totalement inapte à m’épauler à la catéchèse. Juste après l’ascension, je mariais comme prévu, Elise et son époux, par une chaleur orageuse, qui me faisait transpirer à grosse goutte sous ma soutane. Au début, elle essaya de passer me voir tout en prétextant épauler sa cousine. Elle apparaissait soudainement qu’il vente ou qu’il pleuve et nous discutions un peu pendant qu’elle se réchauffait. Ses visites s’espacèrent, tant et si bien que je ne la vis qu’à l’office, son ventre arrondie que ne dissimulait pas son chandail. Pratiquement à chaque nouvel automne, je célébrais le baptême d’une ses filles. Au quatrième, ma raison autant que mon sommeil ont commencé à se réduire, chaque nuit le mal venait gratter à la porte de ma chambre malgré mes heures de méditation.

jeudi 17 décembre 2015

Extrait nouvelle "le robot qui méditait"




Le soleil commençait sa longue remontée matinale entre les monts d’Eseus. Il teintait lentement de rose, les neiges éternelles qui serpentaient le long des arêtes de roches. Sa luminosité doucereuse traversait les vitres abiotiques des tourelles de la Zone 9. Instantanément, le verre double se modela sous l’action des UV et les milliers de minuscules bactéries concentrées dans sa structure, se contractèrent pour empêcher toutes intrusions néfastes dans la pièce. Ainsi, à l’intérieur de la chambre, la jeune femme allongée ne percevait que la chaleur confortable de cette matinée d’hiver. 

Un animât-chat se jeta soudain en ronronnant sur le lit. Le félin mécanique marcha avec précaution pour se placer à proximité du visage. Assis sur son arrière train, il faisait briller ses pupilles jaunes aux reflets ambrées, tout en dévisageant sa maitresse. Elle ouvrit alors les yeux et lui sourit. Avec un soupir de regret, elle se leva et fit claquer ses doigts. A ce signal, le mur qui lui faisait face s’illumina. Une animatrice à la coiffure plaquée sur le côté, apparut à l’écran, elle débita d’une voix monocorde les titres du jour :

« Nuit tumultueuse dans la zone 13. Des hommes et des femmes ont attaqué les troupes RNA (Robotiques Non Armée) avec des projectiles. Il semblerait que l’annonce du suicide du terroriste surnommé Red Lion soit à l’origine de cette manifestation qui a dégénéré.  Il se serait donné la mort à l’insu de ses gardiens, à l’aide d’une nano-molécule empoisonnée. Les forces RNA ont fait usage des boucliers sonores qui ont rapidement dispersé la foule. Le calme était revenu dès 5h (heure locale). La sénatrice Canteris a déclaré hier soir qu’aucun débordement ne pouvait être accepté  et que les proches du terroriste devaient agir dans le calme. Les disciples de Héron ont aussitôt communiqué ce matin, qu’ils accusaient la police de torture ayant entrainé la mort. Il exige une commission politique indépendante pour faire la lumière sur les circonstances de sa mort. Nous passons maintenant à la page science, la compagnie Arteo entame aujourd’hui, la commercialisation de l’Android Ménager 10e génération. Premier image en exclusivité de ce petit bijou de technologie qui ravira les mamans. »

Chronique Génération Y





Ils nous ont appelé la génération Y. Ils nous ont pris et déposé bien à plat sur la table de l’histoire. Ils nous ont jeté dans le grand bac générationnelle : Les petits, les mous, les gros, les moches, les bénis, les énergiques, les rêveurs, les superficiels. Quand le processus est enclenché c’est comme une catastrophe nucléaire ; vous vous retrouvez à la place de l’ingénieur compétent juste à deux pas d’une centrale Ukrainienne, un 30 Avril,  juste au moment où vous comprenez qu’avec vos pelles et votre sable vous n’enraillerez rien du tout. Le processus scientifique c’est kif kif. Une type, pas forcément un intellectuel académique au début, mais il en a plein la tête, le type. Il se gratte en écoutant la dixième symphonie de Messiaen et entre deux crissements de violon incontrôlable, il se dit qu’il pourrait trouver un autre sujet à débattre. Il vient de mettre sous presse son dernier « La menace islomiquereligiointégriste ; Les barbus contre-attaque » et enfoncé confortablement dans son fauteuil style Louis XVIIIe en velours bleu royal, il se dit qu’il serait temps de chercher un nouveau sujet d’essai qui raque, qui se paye (parce que Anne-Sophie sa femme ne pourra plus aller en vacances à la Baule) Monsieur est essayiste. Il s’essaie à penser. Le monde se décompose en deux groupes bien distincts, les types qui s’essaient et les types qui essaient. Lui il a le temps et l’argent de s’essayer à divers gymnastique intellectuel.


 Le jeu est fort complexe : il faut réussir à innover mais tout en racontant ce que disent les autres intellectuels sans trop bousculer ni ses collègues et concurrents, ni ses éditeurs. Bon lui, le type comme tout le monde (surtout les gars) il se voit comme un héros en collant qui brave le dragon par -40 avec un vent de face à défriser un rhinocéros laineux (Et même le rhino et ben en collant et calvitie naissante, il le prend ! Il est comme ça, lui). Donc il se dit « Tiens, je pourrais travailler sur ses jeunes » (qui ont décidément des intérêts tellement différentes des siens). « Attends se dit-il, faut pas pousser moi à leur âge on tenait la France avec quelques barricades, on brandissait bien haut le verbe gaucho. Nous ! on avait pas besoin d’attendre qu’un grand père nous dise de nous indigner ! On s’indignait de tout ! ».

Il est vrai qu’un bébé de 87 né à Meulun ou Neuilly partage tellement de valeurs communes avec un bébé de 87 né à Chibougamau ou au Cambodge. Ben si! Ils partagent ce merveilleux instrument, le Ipod que dieu dans sa grande bénédiction après nous avoir envoyé la CRISE, les accidents technologiques, le chômage, ou le SIDA a décidé parce qu’il fait preuve avec une constance historique de misér-icorde de nous sortir de sa hotte sacrée, le Ipod. Avec lequel, on va pouvoir zapper tous les discours réactionnaire, un brin raciste et avec un soupçon d’antisémitisme de votre voisine quinquagénaire de palier ou de métro. Ce petite instrument fabriqué au Cambodge et acheté (ou volé) en France, va devenir le creuset intellectuel et morale de toute une belle et homogène génération.