vendredi 17 mars 2017

la femme araignée extrait



Acte 1  

SCENE 1 


Le professeur non-méritant: Le premier jour.
C'était au petit matin. Le jour se levait à peine. La lueur du soleil resplendissait certainement là haut. on pouvait entre-apercevoir en haut de la vallée les premiers rayons léchés les arbres. Il avait levè la tête et avait observait le chemin qui serpentait jusqu'en haut de la montagne. Un pic assez abrupt. Les derniers mètres devaient être ardue. Dans sa bienveillance les dieux lui avaient accordé une corde solide et longue qu'il avait attaché autour du rocher.  Il continua à contempler ce qui allait devenir sa prison à ciel ouvert. La mort aurait été préférable.
Il se mit a tirer à l'aide de la corde qu'il enroula dans son dos, ainsi arnaché l'homme et la pierre ne faisaient qu'un. Ils avançaient lentement. Chaque pas était un effort considérable. il fallait faire attention à tirer suffisamment le rocher sans que la bête minérale ne lui roule dessus et l'écrase complètement. Il tentait de prendre un rythme et soufflait à chaque effort. Le soleil n'était pas encore très haut et pourtant il ruisselait de sueur. Il s'essuya d'un revers de manche et regarda effare le peu de chemin qu'il avait parcouru.




* * *

 SCENE 2
Bureau du juge, une nappe en velours rouge sur le bureau simple et sobre mais plein de papier parsème le sol, le juge roule dessus allégrement. La femme a une belle chevelure c'est avant le procès.

le dieu poète: entrez entrez! asseyez-vous ou vous avez de la place!
vous en voulez ? il lui tend une flasque, elle fait signe non de la tête. Elle est obsédé par les papiers noircis à l'encre, elle ne fait pas trop attention à son interlocuteur. Il sourit et s'en sert une rasade.
le dieu poète: vous avez raison, ca tue à petit feu mais voyez-vous je suis immortel. Être immortel ça ne signifie pas vivre éternellement, c'est survivre à tout, vous voyez la nuance? Mais à la longue voir les autres vous quittez n'est pas forcément le pire, le pire c'est de vous retrouvez chaque matin face à vous-même, ce même visage lisse, les même anecdotes, les même blagues, la même course solaire, la même pluie froide en hiver. On s'emmerde la haut vous savez.
La femme qui écrit sur les murs: Pourquoi laissez vous trainer les mots par terre?
le dieu poète: pour leur rouler dessus quand je suis bien bourré, je les écrabouille, j'en fais de la bouillie grise.
la femme qui écrit sur les murs: pourquoi vous méprisez les mots?
le dieu poète: D'abord un mot passe par toutes les bouches, il change de maitre comme de langue. On ne peut pas leur faire confiance. Parfois, il vous échappe en cache un autre, et tout le sens est à changer.
la femme qui écrit sur les murs: Moi je crois que vous aimez les écraser parce que ce sont encore les seuls sur lequel vous pouvez régner.
Le dieu-poète fait marche arrière avec son fauteuil roulant puis contourne le bureau et la toise du haut de ses roulettes.






Le poète indien au chapeau melon, nouvelle






A Arun Kolaktar pour ses merveilleux poèmes sur Bombay. 

Il va faire nuit mais le soleil d’été écrase toujours la rue et ses passants. Imperturbable, un poète indien, posé en tailleur fait classe sur une petite place. Assis à même le sol, des enfants, les yeux avides écoutent son cours. Tous les regards des petits se concentrent sur le vieil excentrique au chapeau européen. Parfois, son visage impassible s’éclaire d’un sourire facétieux. Il aime égayer son discours d’anecdotes rigolotes. Les enfants alors rient à gorges déployées, de ce rire insouciant et beau que seul l’enfance peut produire.
La vieille Aya secoue la tête en vendant ses chappattis et ses nans. Le vieux est fou ! Une grande partie des mendiants des rues de Bombay ne peuvent rêver de mettre les pieds à l’école et lui, ce parvenu, se permet de leur apprendre quelque chose d’aussi dérisoire que la poésie. Elle maugrée en roulant sa pâte et en la faisant cuire sur une poêle usée, dans sa petite boutique de fortune. Les mots ça nourrit pas son homme ! pensa-t-elle. Elle l’a surnommé le vieil anglais, mais dans sa tête, ça sonne comme une injure. Cette homme représente ce qu’elle haie : le temps qui file, les jeunes filles qui sorte tête nue ou qui montre leurs épaules, et ces satanés intouchables qui parfois comme le vieux fou apprenne à lire. La vieille Aya est née dans la caste des brahmanes mais pauvre, elle devait travailler durement pour nourrir sa famille. Pas le temps de s’assoir et ânonner des textes stupides pendant des heures. Au contraire, elle, elle s’active toute la journée pour qu’un des besoins les plus nécessaires soit remplis, pour que des ventres parmi les milliers de ventre affamés de Bombay certains soient plein. Elle est la maitresse incontestée de ce fragile équilibre entre une mort lente, douloureuse et la vie. En soit elle se considère comme une déesse des temps anciens projetées au cœur d’un monde dont elle n’a pas les clés pour le comprendre.
Elle, elle n’a jamais eu le temps pour ces facéties avec les tâches domestiques, l’eau du puits, le ménage, la cuisine, ses petits frères. Non, elle n’a pas eu le droit de toucher ces signes mystérieux qu’on inscrit joyeusement quand on les connait.
« _ C’est vraiment pas possible que ce vieux fou puisse faire ça en plein jour ! s’adresse-t-elle au vendeur de cigarette accoudé au mur qui mastique tranquillement un vieux bâton de réglisse.
_ Qu’est ce qu’il y a ? Il fait de mal à personne, répond-il en s’épongeant son front humide de sueur.
_ Pour qui il se prend à débiter son savoir comme ça ce prétentieux ! Il farcie la tête de nos jeunes avec des idées folles, des mots dangereux ! enrage-t-elle »
Elle est rouge de colère la vieille Aya. C’est une colère ancienne, rentrée, enfouie que beaucoup de femmes partagent et taisent : celle des petites humiliations et des grandes injustices. Cette colère reflue en elle, elle provient de ce jour où on l’avait toléré à entrer dans ce monde, où on lui avait tout juste permis de vivre. Ce jour marqué du sceau de l’infamie et de cette dette qu’elle devrait s’acquitter jusqu’à son dernier souffle. Elle reprend.


« _ C’est  pas normal qu’il sache lire. Il est impur. Il peut pas toucher un texte. Tout ça c’est la faute à cette époque de fou. On respecte plus rien, les castes, rien ! Je te le dis. Un intouchable qui enseigne de la poésie c’est pas normal ! »
Elle s’est levée brusquement en prononçant ces mots, oubliant la pudeur, oubliant son sari mal attachée. Elle hurle presque, tellement que le poète se tait. Les élèves observent la scène avec curiosité et calme, ne comprenant pas grand-chose.
Soudain, mue d’un grand devoir de rétablissement, elle s’avance, échevelée, devant l’homme au chapeau melon.
« _ Tu racontes n’importe quoi ! Ta place n’est pas ici ! Va t’en ! La poésie ça sert à rien t’entends !
_ Je ne peux que t’écouter, tu me hurles dessus répond-il d’un ton flegmatique
Mais pourrais-tu faire vite, j’ai une leçon à terminer.
_ Une leçon ! Une leçon ! Tu te prends pour un grand professeur avec ton chapeau de colon. Tu crois quoi que tes bambins là, ils vont devenir écrivain. Tu leur mets des rêves inaccessibles dans la tête. C’est plus terrible que l’absence d’horizon. Tes filles au mieux elles trouveront un bon mari et tes garçons iront voler ou trier les ordures. C’est poétique tout ça ?
La vieille Aya s’agite dans tous sens. Elle rapproche son visage menaçant de celui du poète. Son scandale vient d’attirer quelques badauds rieurs et la présence de ce public improvisé renforce sa détermination. Parmi la foule, deux policiers dont l’un est en train d’acheter des cigarettes de contrebande au vendeur à la sauvette se rapprochent de la scène.
«_ Regardez ! Regardez ! L’intouchable qui apprend des choses folles à nos fils ! les interpelle-t-elle »
Dans un mouvement de dédain, elle fait tomber tout à coup le couvre-chef qui roule sur le côté. Le poète adepte d’une forme rare d’impassibilité nourrie à la méditation et au texte philosophique, toise la vendeuse. L’un des deux policiers légèrement bedonnant se fraie un chemin jusqu’à Aya. La vieille vendeuse de pain exulte. Les représentants de l’ordre viennent certainement la soutenir dans ce combat difficile.
« _ Qu’est-ce que tu leur apprends ? »
Le vieux fit signe à la plus jeune de ces novices. L’enfant d’une voix clair et forte récita un poème ancien, très difficile à comprendre et retenir pour son âge. Le policier a un petit mouvement de surprise puis avec un sourire, il ramasse le chapeau melon, l’époussète et le rend à son propriétaire.
« _ Les mots sont la seule arme qu’ils nous restent quand tout a disparu. Continue vieil homme et si elle t’importune encore, appelle-moi. »
La foule amassée sur la place, éclate d’un gros rire qui se répercute sous les étoiles timides dans le ciel du soir. Aya repars bredouille sous les regards et quolibets. Elle s’en moque un peu car les gens rassemblés-là ont faim. Faut bien nourrir cette bande d’ingrats pensa-t-elle. Et elle mélange la farine et l’eau, et elle pétrie, et elle cuit les petits pains plats qui disparaissent dans la nuit chaude.





lundi 6 mars 2017

La femme seule





Elle est seule, assise au bord du canal. Elle ne donne pas de miettes aux pigeons. Elle ne regarde pas son portable. Elle écoute. Qu’est-ce qu’elle peut bien écouter au bord du canal à cette heure ? On se le demande ! Elle n’écoute pas les enfants avancer gaiement à trottinette ou à dos de vélo. Elle n’écoute pas les pécheurs à quelques mètres raconter une anecdote croustillante sur leur semaine de travail. Elle n’écoute pas la petite vieille hurler des imprécations bizarres aux bancs publics. Elle n’écoute pas l’homme jeune chantonner une chanson de son pays.

Elle entend sa voix intérieure. Ce n’est pas une voix divine, ni une voix synthétique qui annonce les arrêts de bus. C’est une voix réelle qu’elle écoute. Elle tonne et tempête cette voix comme si elle était des milliers. Elle hurle et rit cette voix, tant et si bien que machinalement la femme se bouche les oreilles. Étrangement muette, la femme ne dialogue pas avec la voix, elle écoute juste. Ses mains se crispent sur le rebord de pierre. Les pécheurs à proximité lui jettent des regards intrigués. Elle contemple l’eau crasseuse du canal qui charrie les immondices de plastiques.
Soudain, elle se lève, ses pieds tenant tout juste sur le rebord. Juste à cet instant précis, un homme dans la trentaine bien tassée s’avance vers elle.
« _ Madame ? Êtes-vous Clara Schoenberg ? »
Elle le regarde, surprise de l’avoir à ses côtés.
« _ Vous me suivez ? je suis ambulancier à l’hôpital Sainte Anne dit-il d’une voix douce et posée, votre mère nous a appelé pour vous emmener. »