C'était au
petit matin. Le jour se levait à peine. La lueur du soleil resplendissait
certainement là haut. on pouvait entre-apercevoir en haut de la vallée les
premiers rayons léchés les arbres. Il avait levè la tête et avait observait le
chemin qui serpentait jusqu'en haut de la montagne. Un pic assez abrupt. Les
derniers mètres devaient être ardue. Dans sa bienveillance les dieux lui
avaient accordé une corde solide et longue qu'il avait attaché autour du
rocher.Il continua à contempler ce qui
allait devenir sa prison à ciel ouvert. La mort aurait été préférable.
Il se mit a
tirer à l'aide de la corde qu'il enroula dans son dos, ainsi arnaché l'homme et
la pierre ne faisaient qu'un. Ils avançaient lentement. Chaque pas était un
effort considérable. il fallait faire attention à tirer suffisamment le rocher
sans que la bête minérale ne lui roule dessus et l'écrase complètement. Il
tentait de prendre un rythme et soufflait à chaque effort. Le soleil n'était
pas encore très haut et pourtant il ruisselait de sueur. Il s'essuya d'un
revers de manche et regarda effare le peu de chemin qu'il avait parcouru.
*
* *
SCENE 2
Bureau du
juge, une nappe en velours rouge sur le bureau simple et sobre mais plein de
papier parsème le sol, le juge roule dessus allégrement. La femme a une belle
chevelure c'est avant le procès.
le dieu
poète: entrez entrez! asseyez-vous ou vous avez de la place!
vous en
voulez ? il lui tend une flasque, elle fait signe non de la tête. Elle est
obsédé par les papiers noircis à l'encre, elle ne fait pas trop attention à son
interlocuteur. Il sourit et s'en sert une rasade.
le dieu
poète: vous avez raison, ca tue à petit feu mais voyez-vous je suis
immortel. Être immortel ça ne signifie pas vivre éternellement, c'est survivre
à tout, vous voyez la nuance? Mais à la longue voir les autres vous quittez
n'est pas forcément le pire, le pire c'est de vous retrouvez chaque matin face
à vous-même, ce même visage lisse, les même anecdotes, les même blagues, la
même course solaire, la même pluie froide en hiver. On s'emmerde la haut vous
savez.
La femme
qui écrit sur les murs: Pourquoi laissez vous trainer les mots par
terre?
le dieu
poète: pour leur rouler dessus quand je suis bien bourré, je les
écrabouille, j'en fais de la bouillie grise.
la femme
qui écrit sur les murs: pourquoi vous méprisez les mots?
le dieu
poète: D'abord un mot passe par toutes les bouches, il change de maitre
comme de langue. On ne peut pas leur faire confiance. Parfois, il vous échappe
en cache un autre, et tout le sens est à changer.
la femme
qui écrit sur les murs: Moi je crois que vous aimez les écraser parce
que ce sont encore les seuls sur lequel vous pouvez régner.
Le
dieu-poète fait marche arrière avec son fauteuil roulant puis contourne le
bureau et la toise du haut de ses roulettes.
A Arun Kolaktar pour ses merveilleux poèmes sur Bombay.
Il va faire nuit mais le soleil d’été écrase toujours la rue
et ses passants. Imperturbable, un poète indien, posé en tailleur fait classe
sur une petite place. Assis à même le sol, des enfants, les yeux avides
écoutent son cours. Tous les regards des petits se concentrent sur le vieil
excentrique au chapeau européen. Parfois, son visage impassible s’éclaire d’un
sourire facétieux. Il aime égayer son discours d’anecdotes rigolotes. Les
enfants alors rient à gorges déployées, de ce rire insouciant et beau que seul
l’enfance peut produire.
La vieille Aya secoue la tête en vendant ses chappattis et
ses nans. Le vieux est fou ! Une grande partie des mendiants des rues de
Bombay ne peuvent rêver de mettre les pieds à l’école et lui, ce parvenu, se
permet de leur apprendre quelque chose d’aussi dérisoire que la poésie. Elle
maugrée en roulant sa pâte et en la faisant cuire sur une poêle usée, dans sa
petite boutique de fortune. Les mots ça nourrit pas son homme !
pensa-t-elle. Elle l’a surnommé le vieil anglais, mais dans sa tête, ça sonne
comme une injure. Cette homme représente ce qu’elle haie : le temps qui
file, les jeunes filles qui sorte tête nue ou qui montre leurs épaules, et ces
satanés intouchables qui parfois comme le vieux fou apprenne à lire. La vieille
Aya est née dans la caste des brahmanes mais pauvre, elle devait travailler
durement pour nourrir sa famille. Pas le temps de s’assoir et ânonner des
textes stupides pendant des heures. Au contraire, elle, elle s’active toute la
journée pour qu’un des besoins les plus nécessaires soit remplis, pour que des
ventres parmi les milliers de ventre affamés de Bombay certains soient plein.
Elle est la maitresse incontestée de ce fragile équilibre entre une mort lente,
douloureuse et la vie. En soit elle se considère comme une déesse des temps
anciens projetées au cœur d’un monde dont elle n’a pas les clés pour le
comprendre.
Elle, elle n’a jamais eu le temps pour ces facéties avec les
tâches domestiques, l’eau du puits, le ménage, la cuisine, ses petits frères.
Non, elle n’a pas eu le droit de toucher ces signes mystérieux qu’on inscrit
joyeusement quand on les connait.
« _ C’est vraiment pas possible que ce vieux fou puisse
faire ça en plein jour ! s’adresse-t-elle au vendeur de cigarette accoudé
au mur qui mastique tranquillement un vieux bâton de réglisse.
_ Qu’est ce qu’il y a ? Il fait de mal à personne,
répond-il en s’épongeant son front humide de sueur.
_ Pour qui il se prend à débiter son savoir comme ça ce
prétentieux ! Il farcie la tête de nos jeunes avec des idées folles, des
mots dangereux ! enrage-t-elle »
Elle est rouge de colère la vieille Aya. C’est une colère
ancienne, rentrée, enfouie que beaucoup de femmes partagent et taisent :
celle des petites humiliations et des grandes injustices. Cette colère reflue
en elle, elle provient de ce jour où on l’avait toléré à entrer dans ce monde,
où on lui avait tout juste permis de vivre. Ce jour marqué du sceau de
l’infamie et de cette dette qu’elle devrait s’acquitter jusqu’à son dernier
souffle. Elle reprend.
« _ C’estpas
normal qu’il sache lire. Il est impur. Il peut pas toucher un texte. Tout ça
c’est la faute à cette époque de fou. On respecte plus rien, les castes,
rien ! Je te le dis. Un intouchable qui enseigne de la poésie c’est pas
normal ! »
Elle s’est levée brusquement en prononçant ces mots,
oubliant la pudeur, oubliant son sari mal attachée. Elle hurle presque,
tellement que le poète se tait. Les élèves observent la scène avec curiosité et
calme, ne comprenant pas grand-chose.
Soudain, mue d’un grand devoir de rétablissement, elle
s’avance, échevelée, devant l’homme au chapeau melon.
« _ Tu racontes n’importe quoi ! Ta place n’est
pas ici ! Va t’en ! La poésie ça sert à rien t’entends !
_ Je ne peux que t’écouter, tu me hurles dessus répond-il
d’un ton flegmatique
Mais pourrais-tu faire vite, j’ai une leçon à terminer.
_ Une leçon ! Une leçon ! Tu te prends pour un
grand professeur avec ton chapeau de colon. Tu crois quoi que tes bambins là,
ils vont devenir écrivain. Tu leur mets des rêves inaccessibles dans la tête.
C’est plus terrible que l’absence d’horizon. Tes filles au mieux elles
trouveront un bon mari et tes garçons iront voler ou trier les ordures. C’est
poétique tout ça ?
La vieille Aya s’agite dans tous sens. Elle rapproche son
visage menaçant de celui du poète. Son scandale vient d’attirer quelques
badauds rieurs et la présence de ce public improvisé renforce sa détermination.
Parmi la foule, deux policiers dont l’un est en train d’acheter des cigarettes
de contrebande au vendeur à la sauvette se rapprochent de la scène.
«_ Regardez ! Regardez ! L’intouchable qui apprend
des choses folles à nos fils ! les interpelle-t-elle »
Dans un mouvement de dédain, elle fait tomber tout à coup le
couvre-chef qui roule sur le côté. Le poète adepte d’une forme rare
d’impassibilité nourrie à la méditation et au texte philosophique, toise la
vendeuse. L’un des deux policiers légèrement bedonnant se fraie un chemin
jusqu’à Aya. La vieille vendeuse de pain exulte. Les représentants de l’ordre
viennent certainement la soutenir dans ce combat difficile.
« _ Qu’est-ce que tu leur apprends ? »
Le vieux fit signe à la plus jeune de ces novices. L’enfant
d’une voix clair et forte récita un poème ancien, très difficile à comprendre
et retenir pour son âge. Le policier a un petit mouvement de surprise puis avec
un sourire, il ramasse le chapeau melon, l’époussète et le rend à son
propriétaire.
« _ Les mots sont la seule arme qu’ils nous restent
quand tout a disparu. Continue vieil homme et si elle t’importune encore,
appelle-moi. »
La foule amassée sur la place, éclate d’un gros rire qui se
répercute sous les étoiles timides dans le ciel du soir. Aya repars bredouille
sous les regards et quolibets. Elle s’en moque un peu car les gens
rassemblés-là ont faim. Faut bien nourrir cette bande d’ingrats pensa-t-elle.
Et elle mélange la farine et l’eau, et elle pétrie, et elle cuit les petits
pains plats qui disparaissent dans la nuit chaude.
Elle est seule, assise au bord du canal. Elle ne donne pas
de miettes aux pigeons. Elle ne regarde pas son portable. Elle écoute.
Qu’est-ce qu’elle peut bien écouter au bord du canal à cette heure ? On se
le demande ! Elle n’écoute pas les enfants avancer gaiement à trottinette
ou à dos de vélo. Elle n’écoute pas les pécheurs à quelques mètres raconter une
anecdote croustillante sur leur semaine de travail. Elle n’écoute pas la petite
vieille hurler des imprécations bizarres aux bancs publics. Elle n’écoute pas
l’homme jeune chantonner une chanson de son pays.
Elle entend sa voix intérieure. Ce n’est pas une voix
divine, ni une voix synthétique qui annonce les arrêts de bus. C’est une voix
réelle qu’elle écoute. Elle tonne et tempête cette voix comme si elle était des
milliers. Elle hurle et rit cette voix, tant et si bien que machinalement la
femme se bouche les oreilles. Étrangement muette, la femme ne dialogue pas avec
la voix, elle écoute juste. Ses mains se crispent sur le rebord de pierre. Les
pécheurs à proximité lui jettent des regards intrigués. Elle contemple l’eau
crasseuse du canal qui charrie les immondices de plastiques.
Soudain, elle se lève, ses pieds tenant tout juste sur le
rebord. Juste à cet instant précis, un homme dans la trentaine bien tassée
s’avance vers elle.
« _ Madame ? Êtes-vous Clara
Schoenberg ? »
Elle le regarde, surprise de l’avoir à ses côtés.
« _ Vous me suivez ? je suis ambulancier à
l’hôpital Sainte Anne dit-il d’une voix douce et posée, votre mère nous a appelé
pour vous emmener. »