Nouvel exercice littéraire de saison un peu tiré par la barbe! Le jeu consiste à continuer une histoire en 500 mots avec deux conditions: parler d'une femme sourde qui essaye une veste dans une cabine pendant qu'un homme entre en lui demandant de l'aide, juste sur la fermeture.
Arythmie de la foule vaquant aux achats de Noël. Je joue des
épaules et zigzague entre les couples d’ado. Devant la devanture de
verre d'H & M, les mères Noël dégainent leurs jambes nues, leur cul
serré par une minijupe rouge. Au loin, j’entrevois un soleil d’hiver ;
morose et gris. Il descend mollement le long des bâtiments haussmanniens. Les odeurs écœurantes de chichis se mêlent aux parfums
synthétiques de fruits. Je me sens oppressée par cette foule. Malgré
moi, je suis aspirée par leur frénésie commerciale. J’achète un
ramasse-miette sans fil Tristar que j’offrirais sûrement à ma
belle-mère. Elle me remerciera chaleureusement et la boîte ira rejoindre
le fer à lisser, le vase en céramique Gifi, la chute d’eau électrique
Zen ou, le balai Swifer et ces recharges.
Je hais Noël !
Non, mon hamster ne s’est pas suicidé en sautant dans le bassin des
voisins. Durant le réveillon, ma mamie ne s’est pas étouffée avec une
châtaigne. Et mes parents n'ont pas eu le mauvais goût de m'annoncer leur divorce, le jour de la naissance du petit Jésus. Mais, rien y fait. Je supporte pas cette putain de période ! Noël, c’est
pour moi, l’enfer des sourires lisses et clinquants des pubs pour
portables, la raie droite des petits chanteurs au coin de chaque rue,
l’euphorie des vendeurs ambulants, l'overdose de sucre, les listes infinies d’obligations :
-Tu éclaireras ton appartement avec des guirlandes moches et kitchs et défigureras tes fenêtres en les peignant à la bombe imitation neige.
-Tu achèteras le dernier iPod machin à ton aîné, la «
Barbie tricote » à ta deuxième et un minipanierdebasket (jetable) à ton
troisième.
-Tu feras bonne figure devant la énième
boite de chocolat impersonnelle et complimenteras ta belle-sœur pour sa
robe boudinant…
Noël, je me l'imaginais mentalement comme une pièce de monnaie qu'on tire à pile ou face.
Pile: la féerie, l'imagination, le partage, l'empathie, la réunion.
Face: l'hypocrisie, les convenances, le commerce, les portefeuilles vides.
Moi, quand j'ai découvert la face, je ne peux plus regarder le reste. Je ne sent que le vide, des boites que l'on achète, celle que l'on offre. Le vide des cadis que l'on range. La vibration de mon portable me tire de ma réflexion.
Ou a tu mi le doudou de tibo
Le trouve pa ! Urgence Lol !
Et n’oublie pas STP le vin pr demin soir !
Bise
Merde ! Le dîner avec son patron. J’ai totalement oublié cette dernière obligation.
Bien sur pas oublie ! J’achete un vin du Tarn.
Doudou ds le seche-linge.
Bise
Doudou ds le seche-linge.
Bise
Et il me faut absolument une nouvelle veste parce qu’un petit
bonhomme a eu l’idée lumineuse de découper aux ciseaux, ma veste de
velours marron. Je cours jusqu’à l’une des enseignes qui me paraissent
susceptibles de répondre à mes critères : sobriété, élégance, petit
prix. Je file aux rayons des vestes et manteaux, et en attrape
quelques-unes. Après une interminable queue pour atteindre la cabine
d’essayage, je commence le défilé. L’une me serre trop, l’autre me fait
des épaules de nageuse, une autre insulte mon compte en banque. J’enfile
la quatrième quand un homme de taille moyenne, des lunettes rondes de
myopes, rentre dans ma cabine et s’accroche à mon bras. Il m'agrippe les épaules et me serre. Ces lèvres bougent à une vitesse folle.
J’essaye de me dégager dans un mouvement de tortue ridicule. Je n'ai passé qu'un bras dans la manche, le reste de la veste traine au sol.
«_ Qu’est-ce que vous faites là ? Parlez lentement! Je ne peux pas lire sur vos lèvres ! »
Je crois qu’il dit : « cœur...aide...trouver ». Je comprends peu à peu :
« Mon cœur ! Aidez-moi à le retrouver ! Il est perdu. Mon souffle; parti avec. Mon cœur de coton, je peux pas vivre sans … Je l'entend plus taper contre la paroi de ma peau. J'ai un trou là, un néant qui pousse. Un vide qui aspire. Parfois, il s'emballe. Mon cœur liquide. Quelqu'un l'a kidnappé. Pour l'offrir ou le dévorer.
Aidez-moi à tracer un chemin vers mon cœur de mousse, mon cœur de neige... »
La surprise passée, j’hésite à éclater de rire ou à l’engueuler méchamment. Mais, il recule déjà en délirant et quitte la salle. Soudain, je me rends compte que les vendeuses s'affairent autour des caisses, les seuls clients présents payent leurs achats. Le magasin
ferme. Je laisse tout en plan. Dehors, je l’aperçois, hagard au milieu
des gens pressés, une bulle invisible se formant entre eux et lui. Je
soupire. Pas de vin, pas de veste ; décidément j’aime pas noël !
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