L’institutrice : _ Pourquoi vous n’avez plus de
terre ? Elle est un peu nue cette maison et son petit potager. Vous avez
vendu ?
Le vieux Jeannot : _ Un jour, les vergers ca aussi c’était trop cher. Ca
me rapportait plus de les vendre sur le marché. Alors je les laissais dépérir.
Des fruits ouverts, pourris ou mouchetés de noirs que les frelons entouraient. Les
oiseaux s’y mettaient aussi, ils becquetaient les cerises rouges, y en avait
des centaines et des centaines qui tournaient autour de mes arbres. Le
bourdonnement permanent de cette charogne. Ce bruit ca m’est resté. ca me
bouffait de les voir ployer sous les branches chargées. Les sangliers allaient
s’y mettre après ce serait pire. Et puis un jour ca m’a prit. J’ai attrapé une tronçonneuse,
j’y suis monté. Un matin où la brume remonte lentement de la terre et enveloppe
les troncs de leur masse indolente et paresseuse. Sur les plateaux on voyait
déjà la lueur du soleil. Je marchais silencieusement. On aurait dit que je ne
voulais pas les réveiller, c’était tellement bizarre. Celui qui n’a jamais vu
toute cette lumière prendre un à un le sol net, c’est pas vraiment un homme.
J’ai été baptisé de cette lumière celle entre les cerisiers alignés. Mon fils
devait les couper mais il n’a jamais le temps de passer. J’en ai planté une
partie avec mon père, c’était à moi de le faire. Il en avait laissé un, un peu
plus à l’abri que les autres, tournés plein sud. Il m’avait dit « celui-ci
c’est le tiens, t’en prendra soin. » Quand j’ai allumé la tronçonneuse, et
j’ai sentis l’odeur de gasoil qui a emplie l’air humide. La violence de ce
grondement vorace entre mes mains, ça m’a rendue dingue et j’ai coupé en plein
dans la chair du tronc. J’ai continué à enfoncer la lame en furie jusqu’à ce
que j’entende craquer l’animal. Et dans un bruissement lent et sourd je l’ai
senti céder. Après j’ai tranché, tranché cette merde. J’arrachais les troncs
jusqu’à ce que la plaine soit nue, nue de ce carnage. T’avais des débris de
branche, les troncs empilés, les cerises écrasées…ça ça se mélangeaient à la
boue, c’était dégueulasse. J’en avais les tripes toutes retournées.
Alors je me suis arrêté quand le soleil était trop
chaud pour continuer. J’étais debout, là devant mes fruitiers à terre et cette
odeur de sève mêlé d’essence. Parfois, la nuit je me réveille, j’ai
l’impression qu’un truc terrible m’est arrivé. De cette fenêtre là on pouvait
les voir je vois que les souches et cette plaine nue. Et là je me souviens que
je l’ai fais. Et je pleure. Ma femme me croit un peu fou ou sénile, j’men
fou ! Plus rien a poussé après, les orties s’y sont mis, les ronces ont
tout recouvert. J’ai revendu les hectares à un parisien. Il revienne pendant
les vacances d’été, prenne pas soin, nettoie jamais ces cons !
Noir. Au cours d’une des scènes on entend des raclements de pelles mécaniques, et des bruits de tronçonneuses, ces bruits s’accompagnent d’un craquement d’arbre qui s’effondre, on entend ces bruits en boucle. La petite pute spirituelle semble esquisser des pas de danses sur cette musique, elle tient un briquet et l’allume à chaque bruit d’arbres qui tombent
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